Qu'ont en commun les milieux décisionnels de la culture, de la politique et des affaires ? Ils comptent bien peu de femmes dans leurs rangs !
Organisé par l’Institut de recherche et d'études féministes (IREF) et le Groupe Femmes, Politique et Démocratie, près d’une quarantaine de personnes ont participé à l’événement. Il s’inscrivait plus globalement au sein d’une démarche initiée par le Groupe Femmes, Politique et Démocratie en avril 2016, En marche pour la parité, afin d’alimenter la réflexion sur la parité et pour débattre, ensemble, des enjeux et des solutions pour y parvenir, et ce, dans une perspective de diversité.
Animé par Rachel Chagnon, professeure et directrice de l'Institut de recherches et d'études féministes (IREF) et Pascale Navarro, journaliste, auteure et membre du CA du Groupe Femmes, Politique et Démocratie, les panélistes, Caroline Codsi, Marie Malavoy, Myrlande Pierre et Lori Saint-Martin, ont, chacune à leur tour, présenté un état des lieux de leur milieu ainsi que des pistes de solutions pour atteindre la parité. Échanges riches, stimulants et prometteurs de même que réseautage étaient au rendez-vous !
Bonne lecture !
Intervention de Caroline Codsi, présidente fondatrice de La Gouvernance au Féminin, v-p principale et directrice générale chez Circa services médicaux, Est du Canada
Entrée en vigueur le 31 décembre 2014, la nouvelle réglementation de l’Autorité des marchés financiers (AMF) visant une meilleure représentation féminine au sein des entreprises canadiennes cotées en bourse aura eu pour effet d'atteindre plus de 60 % des grandes entreprises canadiennes à se doter d’une politique en cette matière. Certains s’estimeront satisfaits de ces résultats, d’autres moins puisque :
- presque 40% n’ont pas de politique ;
- près de 50% des entreprises dotées de politique ne comportent aucune cible à atteindre tant au niveau des conseils d’administration que de la haute direction ;
- seulement 32 % ont déterminé des cibles pour la représentation féminine au sein de leurs conseils d’administration et de la haute direction.
L’expérience anglaise invite quant à elle fortement les entreprises à se doter d’objectifs. L’approche anglaise a permis d’atteindre de meilleurs résultats sur 5 ans que l’approche canadienne soit une augmentation du nombre de femmes siégeant à des conseils d’administration de 13 à 26%. Or, il est reconnu que des changements de comportement doivent s’appuyer sur des stratégies et des objectifs qui motivent le changement et qui le pérennisent. Cette absence d’objectif est sûrement l’un des facteurs pouvant expliquer la différence dans les résultats.
Si nos régulateurs souhaitent du changement, il est essentiel qu’ils insistent plus fortement sur la fixation d’objectifs robustes témoignant de la volonté ferme de nos dirigeants de favoriser une meilleure intégration des femmes au sein de leurs organisations. À ce jour, le Canada n’a que 15.9 % de femmes dans les conseils et 5 % de femmes PDG.
Sans une telle exigence de politique et d’objectifs conduisant à mettre en place de stratégies pour atteindre ces objectifs, il faudra attendre encore plusieurs décennies avant d’atteindre la masse critique féminine visée – plus de 40 % –, signe d’une société plus juste accordant, à chaque sexe, selon ses talents, l’opportunité de se réaliser.
C'est dans ce contexte que La Gouvernance au Féminin met en place une certification parité afin de permettre aux entreprises d'évaluer leur progrès et de le faire connaître et reconnaître auprès de leurs employés, partenaires et clients.
Les quotas imposés par le gouvernement nous ont prouvé être la méthode la plus rapide et efficace d'augmenter le nombre de femmes au CA, on l'a constaté avec la Loi Copé-Zimmermann qui prévoit 40 % de femmes dans les conseils d'ici 2017. La France a allègrement dépassé les 36% alors qu'elle était comme le Canada et l'Angleterre à 12 % en 2010. Le Québec a également démontré sa capacité à atteindre la parité dans les conseils des 22 sociétés d'État dès lors que ce fût imposé par une loi sous le gouvernement Charest. En d’autres termes, quand on légifère on trouve des femmes, quand on ne légifère pas, on trouve des excuses.
Or, l'expérience norvégienne nous démontre que si ces mesures peuvent avoir un impact sur la composition des CA, elle n'a aucune influence sur la composition du comité exécutif d'une entreprise. La certification parité se veut un espace d'échanges et de bonnes pratiques permettant d'enrichir les politiques de chacune des entreprises qui souhaite être certifiée.
La Norvège a été le premier pays à imposer un quota de femmes aux conseils d'administration des entreprises cotées en Bourse en 2003. Dix ans plus tard, les effets de la réglementation se sont révélés indéniables. Comme prévu, toutes les entreprises cotées à la Bourse d'Oslo - plus de 450 - ont intégré au moins 40 % de femmes à leurs conseils. Or, la hausse fulgurante du nombre d'administratrices ne s'est pas traduite par un bond équivalent dans les équipes de haute direction, loin de là. Les femmes y occupent aujourd'hui 15,1 % des postes et celles qui accèdent au siège du PDG sont encore plus rares: à peine 2 % des grands patrons norvégiens sont des femmes. La certification parité de La Gouvernance au Féminin adressera donc non seulement la question des femmes au CA, mais également celle de leur présence au comité exécutif et à chaque niveau hiérarchique de l’entreprise, des postes d’entrée jusqu’au poste le plus important.
Nous estimons que si le Canada met en place des quotas, il faudra que ceux-ci ciblent non seulement les conseils d’administration, mais aussi les comités exécutifs afin que les efforts des entreprises soient sincères et donnent des résultats concrets non seulement au niveau du recrutement des administratrices, mais au niveau de l’avancement de la carrière de leurs employées à tous les échelons.
Intervention de Marie Malavoy, ex-députée de Taillon et présidente du Comité de l’Amicale Femmes Anciennes Parlementaires (FAP) de l'Assemblée nationale du Québec
Rappelons certains faits. En 2012, il y avait 32,8 % de femmes élues à l’Assemblée nationale du Québec ; en 2014, 27,2 %, soit un recul de 5,6 %.
Les facteurs d’exclusion des femmes
Au plan social
Les femmes sont arrivées récemment dans l’espace public, leur éducation, leur environnement, leur société ne les a pas préparées à se projeter dans les lieux de pouvoir. J’ai souvent constaté par exemple que bien des hommes attirés par la politique ont ce que j’appelle « le gène du chef ». Or, les ambitions vont très vite. En période préélectorale – c’est déjà commencé – les candidatures masculines se bousculent au portillon. Les femmes y vont moins vite, avec moins d’assurance.
Au plan familial
La conciliation famille / vie politique demeure un enjeu crucial. Une fois vaincues les inquiétudes liées à nos capacités, on bute encore sur nos responsabilités familiales. Les difficultés sont amplifiées à cause de la distance entre chez soi et le Parlement.
Liés aux partis politiques
Il se fait peu de travail en amont. On se pose trop tard la question des candidatures féminines. Or, pour les femmes, ça prend souvent plus de temps pour se décider. Par ailleurs, la pression est forte du côté des hommes. Ils sont d’accord pour avoir plus de femmes, mais pas pour qu’elles prennent « leur place ».
Liés à la culture politique
Le « moule » est masculin. Pensons à l’environnement physique, le langage, les comportements, les coutumes. Je me suis fait souvent la réflexion de ne pas me sentir chez moi au « Salon bleu » ou au « Salon rouge » dont le décor est aussi somptueux que le mobilier est inconfortable.
Les stratégies pour augmenter le nombre de femmes en politique
Il faut une combinaison de mesures :
Des mesures incitatives, telle l’augmentation du financement des partis politiques qui font élire 30 % de femmes ;
Des mesures contraignantes, comme une loi sur la parité allant dans le sens de la mixité égalitaire, soit une proportion de 40 % à 60 % des deux sexes dans les candidatures ;
Des stratégies mises en place par les partis politiques, par exemple de l’accompagnement, du soutien financier et moral ;
Dans les lieux de pouvoir, on pourrait aménager les conditions d’exercice des fonctions de député : congé parental, garderie au Parlement, respect des congés scolaires, etc. Il faudrait aussi transformer les modalités de travail : réflexion sur les horaires, la durée de séjour au Parlement, les règles du jeu et stratégies parlementaires, etc.
Il reste des questions de fond : doit-on atteindre la parité pour représenter la moitié de la population (« représentation descriptive ») ou pour transformer les choses, changer le moule (« représentation substantielle ») ?
Intervention de Myrlande Pierre, sociologue, féministe, chercheure associée au Centre de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté, UQÀM, experte en immigration et en diversité ethnoculturelle
L’atteinte de la parité en l’absence de diversité, serait un objectif inachevé
Voici un extrait de l'intervention de Myrlande Pierre du 16 novembre dernier parue dans Le Devoir, édition du 5 janvier 2017, section Libre opinion. Pour consulter tout le texte, c'est par ici : http://bit.ly/2kkYDOZ
Il est fondamental de penser incessamment en dynamiques complexes les sujets d’égalité, de parité et de diversité pour construire des politiques inclusives. Le temps est venu d’ancrer l’égalité de fait entre les femmes et les hommes et cela passe par une loi sur la parité. Cependant, comment pourrait-on, en 2016, envisager l’atteinte de la parité dans les lieux de pourvoir sans y intégrer systématiquement le principe de diversité ? Je pose la question à toutes les féministes québécoises progressistes.
La parité, c’est le droit à une représentation paritaire dans les instances dirigeantes et en politique afin que l’égalité démocratique de principe en devienne une de réalité concrète. C’est dans cette perspective que de nombreuses femmes d’horizons diverses ont appuyé l’initiative du Groupe Femmes, Politiques et Démocratie : La Déclaration En marche pour la parité. J’ai moi-même spontanément appuyé cette démarche. Depuis, ma réflexion s’est poursuivie et j’en suis parvenue à cet énoncé qui traduit bien ma pensée: l’atteinte d’une parité qui occulterait la diversité, ou en l’absence de diversité, serait en quelque sorte un objectif inachevé.
Dans le passage de « l’égalité de droit » à celui de « l’égalité de fait », la reconnaissance de situations d'exclusion vécues par certains groupes de citoyennes est fondamentale pour que l'atteinte de l'objectif de la parité au sein des sphères décisionnelles et lieux de pouvoir soit au service et profite à TOUTES les femmes qui composent le tissu social du Québec (...).
(...) Le concept et le modèle de parité que l’on s’emploie à construire collectivement doivent être en mesure d’intégrer de manière transversale et systématique la diversité sociétale dans l’articulation des revendications, des plaidoyers, mais également dans les mesures qui sont à développer. Pour ce faire, il est important de comprendre et de reconnaître qu’il subsiste des disparités considérables entre la majorité et les minorités. Le sexe, l’ethnicité, la ‘’race’’ (en tant que construit social), lorsque combinés, peuvent produire des situations d’inégalités intersectorielles particulièrement inquiétantes. On parlera alors de l’intersectionalité des discriminations (...).
Des obstacles systémiques et structurels
Le déficit de représentation de la diversité dans les sphères décisionnelles et les lieux de pouvoir peut notamment s’expliquer par les discriminations qui sont d’ordre systémique et qui font que les minorités ne sont pas représentées adéquatement dans la sphère publique et des lieux de pouvoir, ou le sont de manière négligeable. Ces obstacles qui freinent cette représentation de la diversité sont d’ordre « historiques », « culturels » et « structurels et institutionnels ».
Aujourd’hui, l’absence des groupes de femmes issues de la diversité dans les lieux décisionnels est criante. Le portrait des institutions et organisations (corps législatifs, haute direction) oblige la société québécoise à se questionner sur la composition de ses effectifs et sur la place des autochtones, des minorités ethnoculturelles et racisées, afin que les lieux de décision et de pouvoir soient le reflet miroir de la diversité sociétale.
Pour une parité définitivement inclusive
(...) Une loi sur la parité dans les instances de pouvoir devrait donc être accompagnée d’une série de mesures susceptibles de garantir une représentation juste et équitable de la diversité en s’attaquant aux inégalités et aux stéréotypes partout où elles se manifestent. En ces temps où l’on assiste à une montée du conservatisme et de l’extrême droite en Europe et chez nos voisins des États-Unis, l’heure est à la solidarité entre tous les groupes de femmes.
Intervention de Lori Saint-Martin, professeure au département d'Études littéraires de l'UQÀM, écrivaine, traductrice littéraire et coordonnatrice à la recherche de l'Institut de recherches et d'études féministes de l'UQÀM
Contre le manspreading culturel, pour la parité
Un rapport de la Coalition pour l’égalité homme femme en culture, rendu public en 2016, fait état de la sous-représentation et du sous-financement des femmes dans la majorité des champs de la production culturelle, des jeux vidéo et de la télévision au théâtre et aux arts visuels. Mes recherches sur la présence des livres des femmes dans les cahiers des livres des grands quotidiens du monde ont révélé que Le Devoir, par exemple, n’accordait à l’automne 2015 que 34 % de l’espace aux femmes. Manspreading culturel, en somme.
La parité culturelle s’impose parce que les femmes, qui sont citoyennes et contribuables, et qui représentent la grande majorité des consommateurs des biens culturels, sont aussi artistes et créatrices ; leur travail doit être encouragé et soutenu autant que celui des hommes.
Les résistances, qui sont tenaces, sont de deux types : 1) il n’y a pas de chiffres pour montrer ce que vous dites; 2) une fois que vous avez des chiffres, on déclare que les chiffres ne sont pas importants après tout et on sort les vieux arguments mystiques : les créateurs ne sont pas des hommes, mais des Artistes, etc. Mais si la culture n’a pas de sexe, pourquoi est-ce que ce sont les hommes qui dominent partout ? Ici, on est toujours devant ce que j’appelle le paradoxe de l’innocence : personne n’est contre les femmes cinéastes, artistes, écrivaines ; simplement, il n’y en a pas. Personne ne pratique la discrimination, et pourtant, elle est partout. C’est cette fausse innocence qu’il faut démolir à coups de protestations, de chiffres, de persistance.
Dans le domaine culturel, on peut exiger la parité quand il s’agit de distribution des fonds de l’État ; récemment, Téléfilm Canada et l’Office national du film ont promis des modifications des règlements pour favoriser la parité. La Coalition recommande également « d’intégrer le critère d’égalité homme femme » dans l’attribution des postes clés, dans les critères d’octroi des subventions et des bourses, etc. Il faut aussi recueillir des chiffres précis et complets pour montrer les inégalités actuelles. Et les femmes, très majoritaires dans le public de la plupart des productions culturelles, peuvent exiger que les créatrices y occupent leur juste place.
Les arts sont une nourriture essentielle et pourtant il y a longtemps qu’on nous sert les mêmes vieux plats. C’est de la diversité des voix de femmes que nous avons besoin, des voix de femmes de toutes les origines, de toutes les races et orientations sexuelles, de tous les âges. Si la démocratie est une conversation, on ne peut se permettre d’étouffer la moitié des voix.
Nos chaleureux remerciements aux panélistes, aux animatrices ainsi qu'aux participantEs ! Un merci tout spécial à notre hôte, Mireille Frenette, de la librairie Zone libre à Montréal.
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